Maitre N'dry Claver

INTERVIEW POUR COMPRENDRE L’AUDIENCE DU 31 MARS 2021 DEVANT LA COUR PÉNALE INTERNATIONALE DANS L’AFFAIRE PROCUREUR DE LA CPI CONTRE MESSIEURS LAURENT GBAGBO ET CHARLES BLÉ GOUDÉ

  • Kifuima TOURE
  • 26-03-2021 à 12:40
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Journaliste Pierre Lemauvais : Bonjour maitre N’Dry Claver : Le 31 mars 2021 devant la CPI, la chambre d’appel va rendre sa décision. Quel est l’état d’esprit de votre client ? Et aussi des avocats ?
Maitre N’dry Claver : Vous pouvez aisément l’imaginer. Il y a une pression naturellement humaine parce que c’est la liberté qui se joue. Or qui parle de liberté parle implicitement de la vie. Mon client et frère Charles Blé Goudé reste cependant serein. Il s’est forgé un mental. Il y a des choses sur lesquelles vous ne pouvez pas agir. Une décision de justice est l’affaire des juges. Il faut épouser une philosophie face à une telle réalité : celle qui contient la thèse de l’abandon dans de pareilles circonstances.
Nous nous disons que de toutes les façons, il y a deux cas : soit le procès s’arrête ou le procès continue. On n’invente pas la vie. Cela nous permet de mieux vivre.
Journaliste Pierre Lemauvais : Maitre justement, sur les cas possibles, pouvez-vous nous en dire davantage ? La Chambre d’appel peut-elle changer l’acquittement et décider de condamner messieurs Laurent GBAGBO et Charles Blé Goudé ?
Maitre N’dry Claver : La chambre d’appel ne peut pas condamner messieurs Laurent GBAGBO et Charles Blé Goudé. Nous avons une affaire qui est très spéciale et il faut la comprendre sinon vous allez vous perdre en conjectures. Dans une procédure pénale classique, le procureur qui poursuit finit de présenter sa thèse d’accusation avec ses témoins et il verse aux débats des documents et des pièces. Lorsqu’il finit, les avocats de la défense font comparaitre aussi des témoins et versent aux débats leurs documents et leurs pièces. C’est le principe du contradictoire qui est garanti tout au long du procès. L’affaire est mise en délibéré pour que la décision soit rendue.
Dans notre cas, il y a une spécificité à ne pas perdre de vue si vous voulez comprendre la décision du 31 mars 2021 : les avocats de la défense n’ont pas présenté de témoins. Nous sommes dans une situation dans laquelle seule le procureur a présenté sa thèse. Et les avocats de la défense ont dit aux juges de la chambre de première instance 1 qu’il n’y a pas lieu que le procès continue parce que celui qui poursuit à savoir le procureur n’a pas démontré l’existence du « plan commun » qui est l’élément constitutif fondamental pour qu’on puisse retenir l’infraction de crimes contre l’humanité. Il n’y a pas de crimes contre l’humanité sans l’existence d’un « plan commun » c’est-à-dire sans une entreprise criminelle ayant organisé les attaques systématiques contre la population civile. C’était cela la question que les juges de la chambre de première instance 1 ont tranché le mardi 15 janvier 2019 en acquittant messieurs Laurent GBAGBO et Charles Blé Goudé. Les juges à la majorité (pas à l’unanimité) ont estimé effectivement avec les deux équipes de défense que le procureur de la CPI n’avait pas démontré qu’il existait un « plan commun » visant à maintenir Laurent GBAGBO au pouvoir, qui aurait compris la commission de crimes contre des civils ; l’existence d’une politique d’attaques contre la population civile ; et que les accusés auraient, avec intention ou connaissance, contribué à la commission des crimes ou que leurs discours visaient à ordonner, solliciter ou encourager ces crimes. Les juges ont acquitté les accusés et ont ordonné leur libération immédiate.
C’est contre cette décision que le procureur de la CPI a fait appel en se fondant sur des arguments techniques qu’il n’est pas nécessaire de développer ici.
Voici ce qu’il faut savoir pour comprendre la décision du 31 mars 2021. La chambre d’appel va décider sur cette question : est-ce que la chambre de première instance 1, en rendant sa décision d’acquittement n’a pas commis une erreur ? Je préfère simplifier les choses comme ça.
Les deux hypothèses sont celles-ci : les juges peuvent décider de débouter le procureur et ce serait la fin du procès. Ou ils pourraient ordonner la poursuite du procès interrompu par la décision d’acquittement du 15 janvier 2019. Voici sauf grande surprise les deux hypothèses possibles.
D’un point de vue technique, la poursuite de ce procès va engendrer beaucoup de questions procédurales : la chambre de première instance 1 n’a plus sa même composition. Les juges ont changé. Faut-il continuer avec d’autres juges là où la procédure a été interrompue ? Les nouveaux juges n’ont pas connu la procédure antérieure. Faut-il un nouveau procès ? Nous sommes dans une situation telle que je ne vous souhaite pas d’avoir ma tête en ce moment. Mais je suis serein.
Journaliste Pierre Lemauvais : Maitre, quelles sont selon vous les chances de la confirmation de la décision d’acquittement des accusés ?
Maitre N’dry Claver : Monsieur, le 31 mars 2021 sera selon moi la suite logique de ce qui a commencé. Je n’en dirai pas plus. Attendons et abandonnons-nous. L’espérance ne déçoit jamais. Peu importe le temps.
Journaliste Pierre Lemauvais : Maitre N'dry Claver, quel est votre plus beau souvenir que vous gardez de ce procès?
Maitre N'dry Claver : Nous aurons le temps. Quand ce procès finira effectivement, je rendrai le témoignage et vous allez apprendre beaucoup de choses en ce moment là.
Interview réalisée par Pierre Lemauvais