Reconnais-tu mon beau pays, il s’appelle «Eburnie». Mais il
a reçu un autre baptême, à cause de l’outrecuidance de ceux qui se partagent le
monde. Dans sa nouvelle appellation, il
est perçu comme un objet à exploiter,
une «Côte d’Ivoire». Avec une telle
destinée, la Côte des ivoires a naturellement subi, prise d’assaut par des
voisins et quelquefois des aventuriers de tout acabit, des gens qui l’aiment et
d’autres qui la convoitent.
Mais, en dépit de la prémonition résultant de sa
dénomination, le pays et son peuple se sont tracés un destin certifié aux
normes d’une nation où il fait bon vivre. Généreux et cultivé, le peuple a fait
de la place pour recevoir ceux qui le désirent. La Côte d’Ivoire a ainsi assis la
réputation d’un un pays attrayant, fréquentable, dont les habitants aimaient
l’autre, au point de proclamer leur nation «Pays de l’hospitalité !».
Dans ce choix, la Côte d’Ivoire a construit plusieurs points
focaux comme des pôles d’excellence attestant de son rêve d’être un pays de
générosité, où il fait bon vivre, chaque région jouissant d’une ambiance selon
ses caractéristiques. Au Sud, Abidjan, la perle des Lagunes, faisait
l’attraction avec ses maquis-restaurants et ses mets au choix ; au Centre-ouest
Gagnoa ou Goh Zoh s’offrait comme la capitale du bonheur et de la joie avec sa
population et ses ambiances et ses spécialités culinaires qui donnent envie ;
en allant vers le centre, Yamoussoukro, la Brasillia africaine, étale ses disponibilités luxueuses
; quand Bouaké ouvrait grandes ses
piscines et ses rues bien éclairées. Pour ne citer que ses coins qui
célébraient l’amour et la vie à travers leur culture et installation.
Depuis 1990 et peu après, reconnais-tu Abidjan ? La lagune a
tari, sa verdure s’est éclipsée. Tout comme la forêt du Banco est recouverte de
la poussière des cimenteries des nouveaux propriétaires. Observes-tu bien
Gagnoa ? Sur la cité de la joie plane
désormais l’ombre épaisse et noire de la mort. Et Bouaké donc ? Ses piscines ont
la couleur du sang de ses enfants, sa terre s’est offerte contre sa volonté,
pour servir de fosses communes et a englouti ses enfants.
Reconnais-tu mon beau pays ? Le chant des films d’horreur se
fait plus entendre que l’Alloukou, l’Agbodan, le Ziglibiti. De nul lieu, on
entend Okoi Seka Athanase, Amédée Pierre, Lougah François, Aicha Koné, Allah
Thérèse.
Reconnais-tu mon beau pays ? Moi je le vois plutôt courbé,
la tête entre les mains. Il a perdu son lustre d’antan. Je dis que mon pays est malade. Eburnie est
malade de son système éducatif qui
déforme des générations d’Ivoiriens et altère leur instruction, leur
éducation ; de son système sanitaire inaccessible qui génère des sous et fait
des morts ; de son économie qui n’en finit pas de l’endetter avec un volume
record de 15 000 milliards FCFA en moins de 20 ans ; de ses dirigeants qui
privent de vivres, tuent, emprisonnent, contraignent à l’exil.
Reconnais-tu mon beau pays ? J’entends son peuple qui gémit,
se tord de douleur. Entre ceux qui
saignent et étouffent les sanglots, le peuple naguère insouciant, fier et gai
est désormais fugitif, dérobé effrayé. Il a peur de la haine de ses dirigeants
qui a eu raison de la cohésion sociale ; de la croissance de son économie, mais
exacerbe et pérennise une pauvreté asphyxiante ; de ces dirigeants qui opposent
les Ivoiriens avec des préférences. Le peuple a peur de ses Ivoiriens capables
de décapiter un Ivoirien, et jouer au ballon avec sa tête.
Ayoualou Ziza