Bonjour.
Je m'appelle Chile Eboe-Osuji.
Je suis Président de la Cour pénale internationale
depuis 2018 et juge à la CPI depuis 2012. J'enregistre ce message le lundi 15
février 2021, alors que mon temps à la Cour - à la fois en tant que Président
et juge - touche à sa fin le 10 mars 2021.
Comme je quitte la Cour, je voudrais partager ces
réflexions de départ.
Je suis vraiment très optimiste quant à l’avenir de
notre Cour.
Non pas parce que le mandat de la Cour est facile.
Mais ce mandat - étant le mandat de l'humanité - devrait être totalement
inutile dans un monde où les impulsions les plus vives de notre civilisation
sont autorisées à toujours diriger la façon dont nous, les êtres humains, nous
nous traitons les uns les autres. Cependant, les leçons de l'histoire
décriraient malheureusement cela comme de simples vœux pieux. C'est donc ainsi
que le monde continue d'avoir besoin d'une institution internationale
permanente dont le mandat est tenir responsables ceux qui commettent un
génocide, des crimes contre l'humanité, des crimes de guerre et le crime
d'agression - afin que les victimes aient une place pour la justice, quand la
justice n'est pas facilement accessible chez elles.
Cette
institution internationale permanente est la CPI
Malgré d’innombrables défis au cours de ses deux
premières décennies, la Cour n’a pas été découragée dans sa détermination à
s’acquitter de ce mandat. Cette détermination réside dans la détermination des
juges de la Cour, du Procureur, du Greffier, d’autres représentants et du
personnel, à s’acquitter de leurs fonctions. Je leur suis sincèrement
reconnaissant de leur service à l’humanité, comme je les ai vus le faire au
cours de mon mandat de Président. Mais cette détermination s’inspire aussi
beaucoup du solide soutien moral que la Cour a reçu de nombreux États et de
leurs représentants, ainsi que de la société civile et du monde universitaire –
même de ceux qui viennent d’États qui ne sont pas encore parties au traité de
la Cour. Je vous remercie tous.
Cet effort conjoint a permis de garantir que la CPI
est un pilier principal de l’état de droit international - un outil clé dans la
poursuite de la paix internationale et de la protection de l'humanité contre
des actes d'inhumanité indescriptibles.
Rien de tout cela ne veut dire que le succès de la
Cour est automatiquement assuré dans l'accomplissement de son mandat. En effet,
le mandat de la CPI est tel que, de par la nature des choses, la Cour va
toujours attirer la résistance – ou même un rejet absolu - de ceux qui trouvent
que le travail de la Cour ne convient pas à leurs propres objectifs. Et cette
résistance ou ce rejet a été clé parmi les «innombrables
défis» auxquels la Cour a été confrontée dans ses travaux au cours des deux
dernières décennies.
Le début de l’année 2021 a maintenant marqué le
début d'une nouvelle aube sur la scène internationale. Un sentiment d'espoir de
reconstruire les structures et l'esprit du multilatéralisme - et la confiance
en son idée - qui ont tous été au cœur de la création de la CPI dans les années
1990.
Il est essentiel que l'esprit de cette nouvelle aube
soit exploité au maximum pour rallier un soutien plus large - et plus fort - au
Statut de Rome et à la CPI. Cette tâche incombe en premier lieu aux États
parties de la Cour. Bien que nombre d’entre eux aient fait un travail admirable
en mobilisant un soutien pour la Cour pendant les périodes les plus sombres des
quatre dernières années, il reste encore beaucoup à faire pour protéger la Cour
de la répétition d’une telle expérience à l’avenir.
Il est tout aussi important d’investir des efforts
continus pour améliorer la Cour de l’intérieur. Comme toute institution
humaine, la Cour n'est pas parfaite. Elle continuera de nécessiter une
amélioration constante.
Pour sûr, ce besoin est en effet la faiblesse
originelle - le talon d'Achille si vous voulez - de chaque système judiciaire
dans le monde. Mais ce ne sont pas seulement les systèmes judiciaires qui ont
ce besoin. Chaque système humain l'a. Le Professeur Stephen Hawking identifie
ce même problème dans notre univers plus large. Comme il l’a dit un jour : «L’une des règles de base de l’univers est
que rien n’est parfait. La perfection n’existe tout simplement pas.»
C’est la raison pour laquelle les dirigeants de la
Cour pendant mon mandat ont volontairement proposé un examen complet des
systèmes - le premier de l’histoire de la Cour. Notre objectif même en
proposant cet exercice, était de renforcer la CPI en tant qu'institution, en
identifiant, de manière globale, les domaines nécessitant des améliorations - à
court terme, à moyen terme et à long terme.
Mais, il y a un petit mot d'avertissement. Il faut
veiller à ce que l’indépendance de la Cour ne soit pas compromise, en mettant
en œuvre quelconque des recommandations des consultants chargés de l’examen.
L’indépendance est la pierre angulaire de la légitimité de toute institution
judiciaire. Rien de ce qui risque son compromis ne pourra jamais être assez bon
pour cette Cour de justice internationale.
Je pars pendant une période de transition profonde.
L'AEP a élu six nouveaux juristes exceptionnels pour remplacer les six juges
dont le mandat prend fin le 10 mars. Et la semaine dernière, l'AEP a également
élu un nouveau Procureur, M. Karim Khan QC, pour remplacer Mme Fatou Bensouda
qui part en juin. Je profite de cette occasion pour rendre hommage à Mme
Bensouda. C'est une personne d'une intégrité incontestable, qui a été le
meilleur exemple possible de ce que signifie avoir un Procureur indépendant, au
service d’une Cour indépendante. Permettez-moi également de rendre hommage au
futur Procureur. Je connais Karim depuis près de 25 ans maintenant, depuis que
nous étions tous deux de beaucoup plus jeunes procureurs auprès des tribunaux
ad hoc pour le Rwanda et l'ex-Yougoslavie. C'est un professionnel du droit de
premier ordre avec un véritable sens du but que cette Cour représente. Je suis
convaincu qu'il a la volonté d'utiliser cette Cour pour poursuivre son mandat
d'humanité.
Le 11 mars 2021, les juges éliront un nouveau
Président pour me succéder. Je suis convaincu que tous les juges, les
représentants et le personnel de la Cour et les représentants des États parties
se rallieront derrière le nouveau Président. Je suis convaincu que le nouveau
Président mettra en œuvre tous ses efforts possibles pour servir la Cour.
Avant de conclure, je me sens obligé, par
l’importance du mandat d’humanité de la Cour, de soumettre cette question
d’introspection qui doit toujours guider nos efforts au service de ce mandat.
Cette question est la suivante : «Ai-je
fait de mon mieux, au service du mandat de la Cour - et pas simplement ce que
j'estime être assez bien ou même plus que suffisant ?» Ma réponse à cette question
est sans équivoque : «Oui.» J'espère
que ce sera aussi la vôtre - à tout moment. Les victimes de génocide, de crimes
contre l'humanité, de crimes de guerre et du crime d'agression ne méritent rien
de moins.
Merci.