A Cocody, le parti de Gbagbo a choisi Kety Lansiné, (à droite) ici en entretien avec notre collaborateur. (Photo Serge KOBOU)

Kety Lansiné, candidat EDS pour Cocody : « Je demande au pouvoir de se battre à la loyale »

  • Kifuima TOURE
  • 22-02-2021 à 11:52
En principe, les élections législatives de mars 2021 devraient inaugurer des élections compétitives. Pour une fois depuis 2010, les partis d’Opposition signent leur retour. ‘’La Voie Originale’’ a entrepris de faire un focus sur ce scrutin à venir. Dans

 La Voie Originale : Après dix années de boycott du système électoral, le FPI reprend du service sous la bannière EDS. Comment les candidats appréhendent-ils les Législatives du 06 mars 2021 ?

Kety Lansiné : Pour ce qui est des élections législatives qui se tiendront le 06 mars 2021, il faut noter que les candidats EDS vont y participer dans des conditions très difficiles. Mais, il est entendu que la lutte fait partie des conditions de libération d’un pays. Aussi, aller à la lutte est-elle une condition normale pour la libération d’un peuple. Nous, candidats sous la bannière de EDS, nous allons à ces élections en tant que combattants de la liberté. Il est vrai que l’atmosphère politique du moment est très lourde ; mais, nous sommes assurés d’être majoritaires à l’Assemblée nationale du fait de notre alliance avec le PDCI-RDA. Ce que nous devons faire, c’est de savoir protéger notre victoire. C’est en cela que j’en appelle à la vigilance des Ivoiriens et des démocrates de ce pays.

L.V.O : Boycotter les élections pendant dix ans et revenir sur l’arène électorale sans transition, le FPI pense-t-il qu’il a un retard à rattraper ?

K.L : Le FPI a boycotté les élections pendant dix ans pour des raisons particulières. Rappelez-vous, une coalition internationale composée de puissances occidentales et une rébellion sous-régionale ont attaqué le régime de Laurent Gbagbo. Le 11 avril 2011, cette coalition a eu raison du régime. Le Président Gbagbo et la plupart des dirigeants du FPI ont été arrêtés. Beaucoup sont décédés, d’autres sont encore en exil. C’est dans ces conditions que le régime qui a été installé par cette coalition a demandé que nous allions aux élections. Nous avons d’abord exigé la réconciliation, le retour d’exil et la libération des prisonniers. Ces conditions que nous avons posées nous ont été refusées. C’est la principale raison pour laquelle nous avons refusé d’aller à ces élections. Parce qu’un parti qui a été ‘’décapité’’ en Avril 2011 ne peut pas aller sereinement à des élections législatives seulement huit mois plus tard, et aux élections locales  l’année qui suit. Ensuite se sont tenues plusieurs autres élections dans les mêmes conditions qu’en 2011. Il y avait aussi des conditions matérielles, légales. La CEI était une instance qui n’était pas indépendante, le découpage électoral était en faveur de ceux qui sont au pouvoir. Bref, le FPI a refusé d’aller à des élections truquées d’avance.

 L.V.O : Au moment où le FPI reprend le chemin des élections, qu’est-ce qui a changé ?

K.L : Beaucoup de choses ont changé. D’abord, la lutte a permis au Président Laurent Gbagbo d’être acquitté à la CPI. C’est une victoire historique parce que l’histoire de la déportation de Laurent Gbagbo ressemble à celle de tous ces héros africains que les Occidentaux ont transféré, soit chez eux, soit dans d’autres pays africains. L’histoire nous apprend que ces déportés ne sont jamais revenus vivants. Quand le Président Laurent Gbagbo a été déporté en 2011, très peu d’Ivoiriens croyaient en son retour. Mais, au FPI, nous étions tous convaincus que le Président Gbagbo reviendrait un jour parmi nous. La victoire du Président Gbagbo sur la CPI a changé la vision que les sceptiques se faisaient de son avenir politique. Ce changement s’est consolidé par la visite du Président Henri Konan Bédié à son frère Gbagbo à Bruxelles. Un accord de collaboration a été signé pour que les deux partis puissent se battre pour la réconciliation des Ivoiriens. Cet accord pour la réconciliation des Ivoiriens est élément important pour la lutte. C’est ainsi qu’on a vu les deux grandes personnalités de la politique ivoirienne, Laurent Gbagbo et Konan Bédié, regrouper l’Opposition dans une union sacrée. C’est grâce à cette union sacrée que nous avons lancé et réussi la désobéissance civile qui a abouti au boycott de l’élection présidentielle. Aujourd’hui, nous nous rendons compte qu’avec l’union de l’Opposition, nous pouvons gagner ces Législatives. Les signes de la victoire sont là. Nous allons obtenir dans les urnes ce que nous n’avons pas pu obtenir dans la rue, et de façon pacifique.

L.V.O : Pour ces élections, le processus de sélection des candidats EDS a fait grincer des dents dans certaines localités...

K.L : En réalité, la sélection des candidats s’est opérée conformément aux textes du parti. S’il n’y a pas de consensus, on organise des primaires qui sont chapeautées par le Secrétariat Général. Cette année, une procédure assez particulière a été utilisée compte tenu du fait que les délais étaient courts. Le Secrétariat Général a demandé à toutes fédérations de faire parvenir les dossiers de candidature à la commission électorale du parti. Le comité a fait la sélection. Ce que je peux dire, c’est qu’il n’y a pas eu beaucoup de contestations sur le choix des candidats. Qu’il en ait eu, c’est tout à fait normal. Il y avait plus de 100 candidats pour moins de choix à faire ; et ce n’est pas toujours facile. Globalement, les militants approuvent les choix qui ont été faits.

L.V.O : Il nous est rapporté que le président du parti, Laurent Gbagbo, s’est beaucoup impliqué dans le choix des candidats. Est-ce que cela est une bonne chose ?

K.L : Etant donné qu’il est le président du parti, le dernier recours, l’arbitrage ultime, lui revient. Je pense qu’il a bien fait d’agir dans des endroits où stratégiquement il était important qu’il intervienne. Surtout qu’il a la méthode, il a une approche très politique des problèmes.

L.V.O : Les Législatives à venir sont ouvertes. L’Opposition vise la majorité au Parlement. Quelles sont ses chances ?

K.L : L’opposition a des chances d’être majoritaire au Parlement parce que c’est la suite normale du combat qu’elle mène depuis le boycott de la présidentielle. Chacun peut analyser les résultats du boycott actif comme il le sent. Pour moi, le boycott et la désobéissance civile ont mis à mal les tenants actuels du pouvoir. Contrairement à ce qu’ils laissent paraitre, l’Opposition a réussi une bonne opération. C’est le boycott qui a permis à l’Opposition de saisir l’occasion de ces Législatives pour montrer qu’elle constitue une force active et qu’elle tient absolument à réinstaurer la démocratie en Côte d’Ivoire. Et cette bataille pour les Législatives reste un facteur très important pour l’instauration de la démocratie en Côte d’Ivoire.

L.V.O : Dans le fond, c’est quoi l’enjeu de ces élections ?

K.L : L’enjeu global de ces élections, c’est d’obliger le pouvoir à négocier avec l’Opposition majoritaire. Certes, nous sommes dans un régime présidentiel, le Parlement ne peut pas mettre en difficultés le gouvernement. Le Parlement ne peut pas non plus voter de motion de censure contre le gouvernement. De son côté, le gouvernement ne peut pas non plus dissoudre l’Assemblée nationale. Donc, la neutralisation du pouvoir exécutif par une Opposition majoritaire va provoquer une crise institutionnelle qui sera  à l’avantage de l’Opposition. Le chef de l’Etat sera obligé de négocier les réformes institutionnelles avec l’Opposition.

L.V.O : Dans certains milieux politiques, on soutient  que ces élections  vont faire des ouvertures pour le retour du Président Laurent Gbagbo. Qu’est-ce que vous en pensez ?

K.L : Le retour du Président Laurent Gbagbo n’est pas lié à ces élections. C’est tout simplement que son retour en Côte d’Ivoire doit se faire comme cela se doit. Que ceux qui détiennent aujourd’hui le pouvoir exécutif traînent les pieds, c’est dans l’ordre naturel des choses de leur point de vue. Ils estiment que Laurent Gbagbo est très populaire. S’il revient avant les élections, celles-ci seront perdues d’avance pour eux. C‘est leur point de vue. Pour le FPI, Laurent Gbagbo doit revenir en Côte d’Ivoire, élections législatives ou pas. D’ailleurs, il y a un comité d’accueil qui sera officiellement installé le mercredi 24 février 2021.

L.V.O : Le fait que le FPI soit privé de son logo et que les candidats vont à la compétition sous la bannière EDS n’est-il pas un handicap ?

K.L : A priori, ça peut paraître un handicap. Puisque les ‘’deux doigts’’, le symbole de la victoire est très populaire en Côte d’Ivoire. Un opposant à Laurent Gbagbo est allé avec ce logo. Aujourd’hui, nous nous présentons aux élections législatives sous la bannière de EDS. Notre travail à nous, en tant que militants, c’est de sensibiliser les électeurs par rapport à ce problème et faire diffuser largement ce nouveau logo. Nous en tant que candidats, nous avons fait imprimer 24000 logos que nous sommes en train de distribuer dans la commune de Cocody. C’est un problème, mais il nous appartient de le résoudre ; et nous n’avons pas peur de résoudre les problèmes. Notre devoir, c’est de faire en sorte que nos électeurs comprennent que les ‘’deux doigts’’ ne sont pas pour Gbagbo momentanément. Qu’ils comprennent que c’est le logo EDS qui compte pour les Gbagbo ou rien (GOR). Il est composé des initiales EDS surmonté d’une rose.

L.V.O : C’est qui votre colistière ?

K.L : C’est l’Honorable Yasmina Ouegnin, député sortante de la circonscription de Cocody.

L.V.O : En quoi l’accord avec le PDCI est une bonne chose pour la lutte ?

K.L : Cet accord est historique. Depuis l’instauration de la démocratie en Côte d’Ivoire, le FPI n’avait pas encore signé un accord avec le PDCI. Le FPI l’a fait avec le RDR, ensuite il y a eu quelques accords ces 11 dernières années. Au départ, c’était un accord de collaboration, pour emmener les Ivoiriens à la Réconciliation. Progressivement, cet accord de collaboration est devenu un accord politique pour aller à des élections. Ce n’est pas encore un accord politique pour gouverner. Mais, on va y arriver. C’est devenu même inévitable parce que cet accord nous a permis de trouver des accords sur 165 sièges pour ces élections législatives sur les 255 que compose le Parlement Ivoirien. Si on gagnait même 140 sièges, on serait majoritaire. Sur les 165 sièges, il y a 10 circonscriptions dans lesquelles nous n’avons pas trouvé d’accord. Ces 10 circonscriptions comprennent 26 sièges. Ce sont des bastions, soit du FPI, soit du PDCI. Sur les 165 sièges, 150 sont garanties. Le reste, on verra bien. Maintenant, il faut protéger notre victoire.

 L.V.O : Quel message à l’endroit du pouvoir ?

K.L : J’appelle le pouvoir à l’apaisement. Un pays ne peut pas être dirigé tout le temps dans la violence, dans des querelles, dans l’instabilité. J’appelle le pouvoir à avoir une attitude d’apaisement vis-à-vis de l’Opposition. Ces élections, c’est le pouvoir qui les a voulues, imposées. Nous avons accepté d’y aller. J’appelle le pouvoir à respecter le minimum de règles nécessaires pour des élections apaisées. En ce qui nous concerne à EDS, notre règle de gouvernance, c’est l’acquisition du pouvoir par les urnes. Nous allons respecter ce principe qui est fondateur de la refondation.  

L.V.O : Quel message à l’endroit des autres candidats EDS ?

K.L : L’Opposition s’est déjà entendue pour faire alliance dans plusieurs circonscriptions. En ce qui concerne l’Opposition formée par le FPI et le PDCI, il n’y a que 10 circonscriptions dans lesquelles nous ne nous sommes pas entendus. C’est regrettable, mais ce n’est pas significatif. Nous allons faire l’essentiel. Nous devons considérer que nous avons réussi un pari auquel personne ne s’attendait. C’est un challenge que nous allons mener. A ces candidats, je leur demande de respecter les accords que nous avons signés ensemble, de faire campagne en respectant l’esprit d’union même là où on ne s’est pas entendu. 

L.V.O : Les élections n’étant pas la guerre, quel message à l’endroit des candidats adversaires ?

K.L : Je voudrais leur dire que nous allons à ces élections pour qu’ils deviennent des opposants. L’Opposition, c’est quelque chose de normal dans la démocratie. Si être dans l’Opposition devrait tuer des gens, nous ne serions pas vivants. Je leur demande de se battre à la loyale, en acceptant le jeu démocratique pour l’avenir de la Nation.

L.V.O : Quel message à l’endroit de vos électeurs ?

K.L : Aux électeurs de EDS, je leur demande de sortir massivement. Je les remercie premièrement d’avoir respecté nos mots d’ordre de boycott pendant dix ans. Et ce mot d’ordre de boycott a abouti à un taux de participation qui n’a guère dépassé 20% depuis 2011. Aujourd’hui, si nous participons à ces élections, il faut que cela se voit par le taux de participation. Ça, c’est un challenge. Il faut que nous dépassions les 50% de taux de participation.

Interview réalisée par Ayoualou Ziza (Collaboration : Petit Bayard)